Réparabilité et réparation : un enjeu majeur de l’économie circulaire de l’habillement
Pour les façonniers français, la réparation pourrait être un débouché porteur dans le nouveau cadre impulsé par la loi AGEC. Mais des freins doivent encore être levés.
"Avec les nouvelles obligations de la loi AGEC, les marques devront intégrer des services de réparation pour répondre aux attentes des consommateurs et promouvoir la durabilité de leurs produits”, Myriam Mentfakh, la fondatrice de LeLabPlus situé en région parisienne, en est persuadée : la réparabilité et la réparation doivent devenir des piliers de l’industrie textile et un gage de qualité pour les consommateurs.
Créé en 2012, LeLabPlus s’est repositionné depuis 2020 en bureau d’études et atelier de production textile autour du 100% Made in France. Myriam Mentfakh y a ouvert, il y a trois ans, une cellule de revalorisation et réparation.
Elle n’est pas la seule à être consciente de cet enjeu majeur que ce soit en BtoB ou en BtoC. Côté BtoB, la plateforme de mise en relation de la Maison des Savoir-Faire et de la Création a ainsi ajouté avant l’été un nouveau critère que les fabricants peuvent intégrer dans leur fiche entreprise, signalant aux donneurs d’ordre leur capacité à faire de la réparation.
Une nouvelle vie pour les vêtements endommagés
Côté BtoC, les initiatives fleurissent pour permettre au grand public de donner à leurs vêtements abîmés une nouvelle chance. Des plateformes en ligne comme Tilli, un réseau de 500 artisans hexagonaux ou Les Réparables, disposant de deux ateliers en France, prennent ainsi en charge des articles textiles à réparer sur tout le territoire. Save Your Wardrobe, lauréate mi-2023 du Grand Prix des start-ups LVMH, répond, elle, aux besoins de marques premium et luxe. Elle met en place sur leurs sites e-commerce ou en magasin, des services de réparation grâce à son réseau d’ateliers partenaires.
Mais le véritable coup de pouce a été le lancement fin 2023, du bonus réparation. Impulsé par l’éco-organisme ReFashion, mis en place par la filière TLC (Textiles, Linge de maison et Chaussures), le dispositif permet aux consommateurs de bénéficier de remises sur les prestations effectuées chez des réparateurs agréés.
L’entreprise ESS (Economie Sociale et Solidaire) 13 A’tipik, fondée en 2011 par Sahouda Maallem à Marseille, est ainsi agréée par Refashion pour son activité de réparation depuis novembre 2023. Cet atelier d’insertion est d’abord spécialisé dans le réemploi et la revalorisation des vêtements et accessoires textiles. « La réparation n’est pas notre cœur de métier mais nous avons toujours rendu service dans le quartier, explique Sahouda Maallem. Installés dans une rue passante, nous disposons d’une vitrine où nous indiquions que nous faisions de la retouche. Nous signalons désormais que nous pouvons faire bénéficier du bonus réparation”.
Bonus réparation
Très légèrement accrue grâce aux bonus (utilisés pour environ deux commandes sur cinq), la réparation ne représente qu’environ 10% de son activité en 2024 contre 80 % pour la revalorisation des déchets via l’upcycling des vêtements et 10% pour la fabrication de collections capsules pour des marques. Mais tout en restant axé sur la revalorisation textile, 13 A'tipik se donne les moyens de répondre aux besoins croissants de la réparation. Elle a recruté une deuxième personne dédiée et va en former une troisième, au sein de son équipe d’une cinquantaine de personnes (dont une quinzaine de permanents, une trentaine de salariés en insertion et deux apprentis).
Pour faire connaître cette prestation, outre des communications régulières via les réseaux sociaux, 13 A’tipik a participé fin octobre aux journées de Refashion Academy à Marseille. “Au sein de kiosques aménagés sur la place du Général de Gaulle, nous avons appris au grand public à utiliser une machine à coudre pour réparer un vêtement”, décrit Sahouda Maallem. Cette mission est également menée chaque mardi matin par 13 A'tipik, lors des ateliers grand public “Repar’Café” dans son espace hub, équipé de machines à coudre, initialement ouvert à la location aux créateurs. Une dizaine de personnes venant avec un vêtement abîmé sont ainsi accueillies par l’équipe dédiée qui les initie à la réparation.
Dans le cadre d’un projet financé par la métropole, la formule devrait s’intensifier en 2025, avec deux, voire trois ateliers hebdomadaires. “À chaque fois, nous demanderons au participant d’apporter, outre le vêtement à réparer, au moins une autre pièce dont il veut se séparer. Nous la récupérerons pour nos autres missions de revalorisation”, explique Sahouda Maallem. Elle insiste sur l’importance de sa mission à Marseille dans la gestion de leurs déchets textile avec plus de 3 kg déposés par an dans les ordures ménagères, contre 2,4 kg à l’échelle nationale.
Une lente évolution
Sahouda Maallem admet que les “demandes de réparation évoluent doucement”, avec “encore beaucoup de travail à faire pour sensibiliser le grand public”. Pourtant, ses clients sont “généralement très contents” de prestations qui, grâce aux bonus, leur permettent de redonner vie à moindre coût à des vêtements payés plus cher et auxquels ils tiennent. “Certains clients sont de très grands fidèles. L’un d’entre eux est même venu au moins une dizaine de fois pour réparer le même jean !”.
Comme Sahouda, Myriam Mentfakh (LeLabPlus) est persuadée de la nécessité de développer la réparation en France. “ReFashion a initié un mouvement positif avec le label de réparation, mais cela reste insuffisant. Pour que cela soit viable et rentable, il faut mettre en place des cellules de réparation centralisées où les marques pourront diriger les produits qu’elles auront récupérés”, plaide-t-elle, persuadée que “la réparation ne fonctionnera que si les marques l'intègrent dans leur circuit de vente. Cela permettra non seulement de renforcer la fidélisation, mais aussi d'ancrer durablement des pratiques plus responsables dans l'industrie textile".
Sa démonstration s’appuie sur son expérience. LeLabPlus a démarré son activité de réparation en BtoB au service de maisons premium, puis a amorcé, en 2021, le BtoBtoC avec le Slip Français, “marque très engagée” qui lui a renvoyé des produits à réparer des clients (par exemple en changeant leurs élastiques). Quand ReFashion a impulsé le bonus réparation, LeLabPlus s’est naturellement engagé dans la réparation BtoC. “La structure reçoit des produits à forte valeur ajoutée, des vêtements avec de l’affectif ou des pièces achetées cher. Nous n'avons jamais réparé des vêtements achetés sur des plateformes telles que Shein ou Temu !”, observe Myriam Mentfakh.
Mais la réparation reste aujourd'hui peu significative en chiffre d’affaires pour LeLabPlus. “Ce n’est aujourd’hui pas encore un modèle viable pour nous, souligne la dirigeante. Le grand public ne va généralement pas dans les usines mais chez les retoucheurs pour faire réparer ses articles. En tant que PME engagée, nous avons besoin de garantir la rentabilité de nos actions. C’est pourquoi il est essentiel de co-construire avec les marques la réparation de demain”.
L’idée de Myriam Mentfakh pour y parvenir ? “Il commence à y avoir des plateformes de gestion, mais le software ne suffit pas. Il faut aussi des cellules de réparation structurées avec les marques pour avoir une traçabilité complète des process”. Elle avance plusieurs arguments : “quand une marque oriente ses produits vers un retoucheur, même labellisé, il est indispensable de s'assurer que le prestataire comprenne la demande du client, qu'il respecte le cahier des charges et les standards de qualité de la marque. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un résultat qui déçoit, surtout pour des produits techniques ou haut de gamme".
La question de la responsabilité de la réparation
“En cas de problème de réparation, nous sommes responsables, abonde Sahouda Maallem (13 A’tipik). Nous avons souscrit une assurance responsabilité civile pour nous couvrir. Mais si la réparation est trop risquée, nous préférons ne pas la faire. En cinq ans, il n’y a eu qu’une seule contestation de la part d’un client…”. Avec le bonus réparation, l’atelier agréé est d’ailleurs tenu de faire des photos avant son intervention. “Cela représente une contrainte mais c’est logique que ce bonus soit associé à un droit de contrôle. Et nous avons ainsi la preuve de l’état du produit au moment où il nous est remis”, observe la dirigeante de 13 A’tipik.
Pour faciliter le dialogue réparateur-client, LeLabPlus mise sur un outil technologique précieux, celui du design 3D, via son logiciel Style 3D, couplé à l’intelligence artificielle. “Nous utilisons déjà cette technologie pour développer des solutions innovantes de revalorisation et dès l’éco-conception, pour anticiper des options de réparation, explique Myriam Mentfakh. Avec ces outils, nous serons en mesure de proposer aux consommateurs des solutions adaptées et innovantes pour prolonger la durée de vie de leurs vêtements”.
Autre nécessité attachée à la création de “cellules de réparation” : garantir une responsabilité après-vente et le respect de règles sociales et environnementales : “Aujourd’hui, lorsqu’un article est confié à un réparateur, il est difficile de vérifier s’il respecte les normes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). En créant des cellules dans des entreprises référencées, on pourra s’assurer que les processus sont conformes et les marques sauront dans quelles conditions les articles sont réparés”.
Concrètement, il s’agira de co-construire ces cellules avec les marques. Un cahier des charges précis définira les matériaux à utiliser (fils et tissus, accessoires, sources externes) pour la création de matériauthèques. “L’objectif est de standardiser les processus au sein d’une cellule initiale, avant de les dupliquer à travers la France. Cela permettra aux consommateurs de réparer leurs articles au plus près de chez eux, en toute confiance”.
Lever des freins : information et formation
Avec une telle démarche, “notre activité réparation serait viable, estime la dirigeante du LeLabPlus. Tandis que les marques renforceraient la fidélisation de leur clientèle”. Autre bénéfice : les cellules de réparation identifient les points de faiblesse des produits. De quoi “accompagner les marques dans l’amélioration de leur éco-conception” une data précieuse. Mais pour donner une véritable impulsion à l’activité réparation, encore faudra-t-il lever des freins.
En commençant par l’information insuffisante du grand public, avec d’abord la croyance que “le coût de la réparation est trop important par rapport à celui de produits neufs, observe Myriam Mentfakh. Certes, si le produit provient du mass-market, la réparation n'a pas de sens. L’objectif est de réinscrire la réparation dans nos habitudes de consommation”. Selon une étude d’Opinion Way Survey pour Refashion, datant de 2021, 35% des sondés pensaient que la réparation coûterait plus cher que d’acheter du neuf. 22% ne pensaient même pas aux réparations et autant ignoraient que les ateliers de couture pouvaient s’en charger.
Autre frein de taille : le problème de la formation et du manque de spécialistes réparation en France. 13 A'tipik s’y attaque en développant, avec son OPCO, une formation de 160 à 200 heures, s’intégrant dans le dispositif AFEST (Action de Formation En Situation de Travail) et visant une certification en 2025. “Notre centre de formation à la réparation permettrait de répondre à des besoins énormes. La formation de base est celle de couturier mais la nôtre sera spécifique à la réparation. L’idée est d’inciter davantage de personnes à s’installer avec cette activité. Ce faisant, on réduira les déchets textiles”, explique Sahouda Maallem.
De son côté, Myriam Mentfakh (LeLabPlus) souligne qu’elle bénéficie déjà d’un “un personnel très qualifié”, tous ses salariés étant capables de réparer. Mais l’objectif de son entreprise est aussi “de former la nouvelle génération à la réparation”. L’entreprise est agréée Qualiopi depuis 2022 sur plusieurs modules de formation, dont un sur la revalorisation et la réparation.
Coexistence d’ateliers ESS et d’entreprises privées
Par ailleurs, la dirigeante observe que “la réparation est aujourd’hui essentiellement réalisée par des structures ESS. C’est bien mais elles ne doivent pas être seules à s’en charger, les personnes y travaillant s’en allant en fin de formation. Or, le métier de réparateur doit être pérenne”. Selon elle, il faut donc “une véritable passerelle entre les structures de l’ESS et les PME, permettant à ces dernières de s’approprier les savoir-faire et de structurer la réparation de manière viable à long terme. Les PME, tout en respectant les impératifs de rentabilité, doivent pouvoir s’engager dans la réparation avec des modèles solides et durables. Cette complémentarité entre structures privées et ESS est essentielle pour garantir la continuité des savoir-faire et pour répondre efficacement aux besoins de réparation”.
Au final, le jeu de la réparation doit être gagnant-gagnant pour tous : les consommateurs, qui pourront garder plus longtemps leurs articles, les marques, qui les fidéliseront et les fabricants et réparateurs Made in France, qui s’offriront un nouveau débouché rentable. "Pour avoir un impact réel et mettre fin à la surproduction, il est impératif de placer la revalorisation et la réparation au cœur de nos pratiques", conclut Myriam Mentfakh, dirigeante de LeLabPlus.
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