L’Upcycling s’offre une place croissante dans la mode
Pratique vertueuse et créative de l’économie circulaire, l’Upcycling se structure dans le prêt-à-porter, avec une montée en puissance des marques, des solutions de sourcing et des ateliers de confection qui se spécialisent.
L’économie circulaire est plus que jamais d’actualité dans la mode. Selon Refashion, l’éco-organisme de la Filière Textile Habillement, Linge de maison et Chaussures (TLC), 826 935 tonnes de ces catégories - environ 12,2 kg par an et par habitant - ont été mis en marché en France en 2022. Or, seulement 260 403 tonnes ont été collectées en fin d’usage et 187 609 tonnes triées, soit 23% de la mise en marché !
Cependant, des textes comme la loi AGEC, interdisant la destruction des invendus, favorisent la pratique créative et vertueuse de l’Upcycling. Ce recyclage par le haut consiste, “à récupérer des matériaux ou produits dont on n'a plus l'usage afin de les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d'utilité supérieure » explique Refashion.
Et depuis quelques années, les initiatives se multiplient. La médiatique créatrice Marine Serre fut l’une des pionnières du mouvement. Elle a été rejointe depuis par d’autres marques (comme Andrea Crews, Carbone 14, Resap ou la Partisienne).
Pour concrétiser leurs projets, les acteurs peuvent compter sur un sourcing en stocks dormants davantage structuré. Deux plateformes en ligne ouvertes à l’écosystème, Nona Source et l’Atelier des Matières, ont ainsi été impulsées en 2021 par LVMH et Chanel. D’autres initiatives sont le fait de jeunes entrepreneurs, comme Uptrade, Adapta ou Feat.coop..
DES STRUCTURES QUI SE SPÉCIALISENT
Pour répondre à l’intérêt croissant pour l’Upcycling et à ses spécificités, d’autres structures se mettent en place. Plusieurs ateliers confectionnent en upcycling comme 13 A’tipik, Lelabplus, Mode Estime, Labeli.D, Renaissance Project, la Fabrique de la Goutte d’Or ou encore des bureaux d’études comme L’Unique Façon. Dernier atelier en date, celui créé par le Relais Val de Seine.
Membre du mouvement Emmaüs, ce pionnier de l’économie circulaire et de l’insertion (plus de 160 salariés) développe depuis 1994 une activité de collecte, tri et revalorisation à Chanteloup-les-Vignes. La coopérative recueille quotidiennement dans l’Ouest parisien 25 tonnes de dons de TLC. Les articles bien préservés, environ 8% du total, sont diffusés via ses neuf friperies.
Fin 2021, après un test réussi avec Andrea Crews, le Relais Val de Seine a lancé l’initiative R Upcycling. Une idée “ inspirée par le fait que certains vêtements étaient recyclés bien qu’en relatif bon état et encore transformables et que beaucoup de candidats qui postulaient pour le Relais avaient une expérience dans la couture” explique Mirana Rakotoarisoa, chargée de projet.
Chez R Upcycling (9 salariés dont 5 en insertion), l’équipe trie “les vêtements de qualité, non vendables en l’état”, mais “susceptibles d’être réparés et revalorisés par de petites transformations, pour être revendus". R Upcycling offre en effet les ressources complètes d’un atelier de confection. "Si nos salariées sont d’abord couturières, elles sont aussi polyvalentes dans une logique de montée en compétences, précise Mirana Rakotoarisoa. Certaines visant à devenir modélistes, je leur donne des missions de patronage, voire de moulage, d’abord simples, puis de plus en plus complexes, pour les faire évoluer ".
R Upcycling réalise ainsi "des vêtements en patchwork ou matelassés ". Avec des prix "accessibles pour de l’upcycling made in France, allant de 15 euros pour des tee-shirts sérigraphiés à 400 euros pour des pièces plus travaillées". Depuis ses débuts, R Upcycling a ainsi revalorisé une tonne de gisements textiles, effectué plus de 300 réparations et créé 1600 produits (prêt-à-porter mixte, accessoires textiles, bijoux, mobilier).
Il lui reste cependant à atteindre son équilibre économique. La commercialisation de la marque dans son réseau solidaire et des multimarques comme l’Habit français ou Emmaüs Campus, n’a en effet pas encore permis d’atteindre son objectif financier. Pour devenir autonome sur ce plan, R Upcycling a noué une dizaine de collaborations avec des acteurs comme Emmaüs France (customisation, via la sérigraphie, de tee shirts de seconde main), Resap (transformation de jeans en housses d’ordinateurs), Charly et moi, la Fondation Monoprix, Accor Hotel…
“Il faut quelques années pour qu’une marque d’Upcycling gagne en visibilité et rentabilité", souligne Mirana Rakotoarisoa, qui espère que le lancement de son site e-commerce, “facilitera le parcours d’achat”.
UPCYCLING EN SÉRIE
Pour aller plus loin, Losanje est la première marque produisant du prêt-à-porter (masculin et féminin) upcyclé en série (disponible en plusieurs tailles, couleurs…).
Ses cofondateurs, Simon Peyronnaud et Mathieu Khouri, jeunes diplômés Sciences Po-Escp, ont créé à Nevers un bureau d’études et un atelier de confection spécialisé en upcycling. A la création de Losanje, en 2020, le duo s’était heurté à un enjeu de taille : la production, les ateliers rencontrés ne faisant pas d’Upycling. Or, le concept de Losanje est justement de revaloriser sous la forme d’un vestiaire masculin ou féminin, des stocks de produits de seconde main que la marque se procure auprès de plusieurs sociétés de tri.
Après le lancement de leur marque et plusieurs centaines de produits vendus, les dirigeants ont été contactés par des entreprises souhaitant se lancer dans l’Upcycling. Losange transforme leurs invendus et/ou des produits finis de seconde main avec une approche projet à 360° : conception, bureau d’études, production…
"Nous avons deux typologies de projets : des entreprises ou collectivités qui viennent nous voir avec des produits finis à leur disposition (de seconde main ou d’invendus) ou alors des entreprises qui souhaitent passer à l’Upcycling mais n’ont pas encore identifié de gisements de produits finis adéquats à revaloriser" indique Simon Peyronnaud.
Simon Peyronnaud explique cet engouement par trois raisons. “Selon deux études (MC Kinsey et Ademe) de 2019, l’Upcycling est la production la plus écologique pour les vêtements et accessoires, avec environ 90% des émissions de CO2 de moins que celle d’articles neufs à partir de matières vierges. Ensuite, nous proposons un storytelling pertinent, en revalorisant l’existant tout en se conformant aux législations comme la loi AGEC. Enfin, l’Upcycling peut être attractif en termes de tarifs grâce à son industrialisation”. De fait, alors que "l’Upcycling est aujourd’hui majoritairement artisanal”, le plus du duo a été de se positionner “comme le premier acteur industrialisant cette méthode de production grâce à des outils d’automatisation".
Cette stratégie disruptive a convaincu de nombreux partenaires pour une levée de fonds de 2,5 millions d’euros en avril 2023. Losanje a ainsi pu développer une machine pour automatiser-industrialiser l’Upcycling, investir de nouveaux locaux à Nevers et recruter. L’entreprise, qui emploie aujourd’hui 20 personnes, dont trois quarts à la production, compte en embaucher encore une dizaine en 2024 ! En 2023, la majeure partie de son chiffre d’affaires a été réalisé via des projets d’Upcycling pour divers acteurs : grands groupes et marques de luxe ou de mode, événements, collectivités…
"Notre plus gros défi a été la production et de passer de l’artisanal à l’industriel. Aujourd’hui, nous avons un enjeu de visibilité. L’Upcycling intéresse pour ses aspects écologiques, économiques et stratégiques. Pourtant, très peu d’acteurs ont connaissance d’une solution d’automatisation et d’industrialisation" explique Simon Peyronnaud. Le récent référencement de l’atelier de Losanje sur la plateforme de la Maison du Savoir Faire et de la Création devrait servir la cause.
Pour en savoir plus :