Le 19M ouvre les portes de savoir-faire français d’excellence

En réunissant dans un même bâtiment douze métiers d'exception, une galerie d’exposition et un café, Chanel préserve des savoir-faire exceptionnels et permet au grand public, notamment aux jeunes, de les découvrir de façon décomplexée.
D’un côté, un lieu à part dans une architecture remarquable pour valoriser des savoir-faire d’exception. De l’autre, une démarche inclusive en direction du grand public, des jeunes générations et notamment d’un territoire, la Seine-Saint-Denis, peu habitué à se frotter au monde du luxe…
C’est le grand écart que réussit avec brio le 19M, la structure abritée par le bâtiment décoré de “fils” de béton ; imaginé en bordure de Paris, près de la Porte d’Aubervilliers, par le talentueux architecte Rudy Ricciotti, le père du Mucem à Marseille. Celle-ci réunit sur 25 000 mètres carrés et cinq étages tout un écosystème vertueux de la Haute Couture et décoration de luxe, soit les douze métiers dont onze classés “métiers d’art”, de la filiale Paraffection de Chanel mais aussi l’école de broderie Lesage, une galerie d’exposition et un café.
12 métiers, dont 11 métiers d’art

Inauguré en 2021, ce lieu a pris racine dans la démarche initiée en 1985 par la Maison de la rue Cambon avec le rachat du parurier Desrues (ornements et boutons). Celle-ci a été suivi au fil des ans par ceux du plumassier Lemarié, du chapelier Michel, des brodeurs Lesage et Montex, ciblant la couture (et leurs départements dédiés à la décoration, Lesage Intérieurs et studio MTX), du bottier Massaro, de l’orfèvre Goossens, du parurier floral Guillet, du gantier Causse, des ateliers de couture Lognon et Paloma, du plisseur Lognon, et enfin, de la marque de maillots de bain Eres.
Ce faisant, Chanel a pu préserver l’existence de Maisons parfois fragiles financièrement. Celles-ci risquaient de perdre leurs techniques, leur matériel, parfois très anciens. Paraffection les a intégrées, mais en maintenant leur indépendance. Elles ont ainsi pu préserver leurs savoir-faire en continuant de travailler avec différents donneurs d’ordre, des Maisons de Couture et créateurs, plus ou moins jeunes, plus ou moins connus.
Pour leur permettre de mieux aborder l’avenir, il est décidé en 2021 de les réunir au sein du 19M. Le site est notamment choisi pour sa proximité avec certaines Maisons déjà situées en banlieue comme Lesage à Pantin. Les 12 Maisons se sont progressivement installées et appropriées leurs nouveaux espaces de travail, plus grands et extrêmement lumineux, complètement adaptés à leurs outils, techniques et façons de travailler. Ce regroupement facilite les synergies entre les Maisons, dont beaucoup travaillaient déjà pour les mêmes donneurs d’ordre, dont Chanel. Cette proximité favorise aussi la créativité, la découverte de nouvelles techniques et savoir-faire, enrichissant leur façon de travailler.
Un écosystème complémentaire

“Cet écosystème complémentaire permet de mieux collaborer et de faire de très belles réalisations. Par exemple, nous pouvons travailler plus aisément avec Lesage, Montex ou Lemarié”, explique Hadi Tchouar, le coordinateur d’atelier de Paloma, spécialiste du flou. Le jeune homme se rappelle que la première fois qu’il est venu travailler au 19M, il s’est senti “vraiment intégré à ce milieu grâce au rassemblement de tous ces savoir-faire”.
“Grâce à cette installation, nous avons des échanges avec toutes les autres équipes, c’est très enrichissant de voir ce que les confrères peuvent faire, souligne encore Maria de Araujo, professeur à l’Ecole Lesage, située au premier étage du 19M. Nous avons parfois des projets en commun, par exemple avec Lemarié dont nous pouvons broder les fleurs. Sur un simple coup de fil, nous pouvons leur passer une commande et la récupérer dans l’heure en descendant d’un étage !”.
Le 19M est aussi fertile pour nourrir l’innovation, que cela soit via des collaborations entre ateliers ou via des projets artistiques impulsés par la structure. Les Maisons, chacune dotée de son directeur artistique, vont sans cesse repousser les limites et proposer de nouvelles choses à leur clientèle, dans le cadre d'un vrai dialogue. Par exemple, Montex va au-delà des techniques habituelles, en proposant notamment des broderies en 3D innovantes.
Inventer de nouveaux possibles

Servant d’aiguillon pour inventer de "nouveaux possibles", la Galerie du 19M organise pour sa part deux expositions par an, ouvertes ou grand public et gratuites. Leur vocation est de mettre en valeur les métiers d’art sous un nouveau jour, via des vecteurs artistiques comme la photographie ou la peinture.
Artisans et artistes y croisent leurs disciplines et savoir-faire. Ce qui crée des opportunités que les ateliers n’auraient pas forcément eu tous seuls. Gage d’une créativité différente, le 19M ne travaille pas avec des artistes stars, mais plutôt avec des jeunes du 93 ou venant de chez Poush, la plus grande pépinière d’artistes en Europe, installée tout près à Aubervilliers.
Trois expositions de la Galerie du 19M ont aussi déjà eu lieu “hors les murs” à Marseille, à l’occasion du défilé croisière de Chanel en mai 2024 et à Dakar, au Sénégal, lors du défilé de la collection Métiers d’art 2022/23 en décembre 2022 puis, devant le succès rencontré, au premier trimestre 2023. Là aussi, les artistes locaux sont invités à bousculer les codes des Maisons du 19M. Par exemple, à Marseille, un artiste et un artisan de la Maison Desrues, tous deux fans du tuning, ont personnalisé des volants de voitures avec des paillettes et autres boutons tandis que Montex a présenté un hamac tissé avec des anneaux de céramique, réalisé en collaboration avec une artiste.
Attirer le grand public de façon décomplexée

De façon générale, ces déclinaisons des savoir-faire et techniques permettent d’amener le grand public à s’y intéresser de façon décomplexée. Les thématiques des expositions peuvent aussi servir de déclic. La dernière, qui a eu lieu de septembre 2024 à fin janvier 2025, dédiée aux 120 ans de la Maison Lesage, a eu un succès incroyable avec plus de 50000 visiteurs, au-delà des espérances des organisateurs. L'exposition réunissait, il est vrai, de nombreux atouts en évoquant une entreprise familiale au beau patrimoine et des savoir-faire exceptionnels.
Autres moyens déployés par le 19M pour capter une large audience : son café-restaurant et la mise en place d’ateliers d’initiation aux métiers d’art lors des expositions de la Galerie, gratuits (ou participatifs en cas de collaboration des artistes), permettant par exemple de customiser un chargeur de téléphone avec une enveloppe de tweed.
La richesse du 19M tient à sa dimension culturelle mais aussi l'initiation aux savoir-faire par la pratique, un concept pour lequel il a été pionnier. La structure fait ainsi de plus en plus de démonstrations et ateliers en ce sens pour le grand public. Et il n’est pas rare d’y assister au spectacle réjouissant de jeunes filles ou garçons qui ne décollent pas de leur réalisation, heureux de repartir avec leur ouvrage, que cela soit une fleur qu’ils ont confectionnée ou une pochette qu’ils ont cousue.
Ornementa, la prochaine grande exposition, qui se déroulera du 13 mars au 18 mai prochains, invitera ainsi petits et grands à s’initier aux savoir-faire du 19M et à explorer les coulisses de la création contemporaine et des Métiers d’art via une expérience immersive et participative.
Faire découvrir une nouvelle passion

Alors que son bâtiment et ses métiers d’art peuvent intimider des non initiés, le 19M travaille avec tout un ensemble d’associations et d’écoles pour attirer les publics de son territoire.
La transmission des métiers est en effet un enjeu majeur pour la structure. Premier levier : des partenariats, sous différentes formes, avec des écoles comme le lycée Octave Feuillet, Boulle ou l’IFM (Institut Français de la Mode). Il peut ainsi s’agir de Masterclass ou de vrais programmes pédagogiques (tels que celui, noué avec Boulle, portant sur les différentes matières pour la Maison). L’Ecole Lesage, installée au 19M, propose pour sa part des initiations au métier de brodeur à des débutants ou des cycles courts de perfectionnement pour les professionnels.
Deuxième levier : pendant trois jours, le Salon “Mains d’avenir” propose sur réservation, aux scolaires le premier jour, puis au grand public le week-end, de découvrir les métiers du 19M et leurs artisans, en assistant ou participant à la démonstration de gestes ou à des tables rondes. Après une première édition à Paris en février 2024 puis une deuxième, à Marseille en mai 2024, la troisième s’est tenue, du 7 au 9 février dernier, de nouveau dans la capitale.
Parcours cohérent

Afin de proposer un parcours cohérent à la formation professionnelle attendue dans ces métiers-là, chaque stand y présentait à la fois une Maison, un métier et la formation professionnelle pour y accéder.
Le 7 février dernier, nombreux étaient les jeunes gens à s’intéresser aux démonstrations des artisans. Camille, élève en BTS Métiers de la Mode regardait attentivement Victoire, en première année au lycée Octave Feuillet, réaliser une fleur en tissu. Alors qu’elle s’y adonne déjà en amatrice, elle confiait que ce stand lui ouvrait de nouveaux horizons pour ses études.
Maria de Araujo (Ecole Lesage) était aussi au rendez-vous, “très heureuse” de partager son expérience de 35 ans, d’abord comme brodeuse, puis comme responsable d’atelier, ensuite de qualité Haute Couture et de mise en industrialisation, et aujourd’hui comme enseignante. “Nous sommes ravis de faire découvrir notre métier à des personnes qui ne savaient même pas qu’il existait. On voit la lumière dans les yeux de cette nouvelle génération. Pour certaines personnes, ce salon est vraiment un déclic”, explique-t-elle.
Lui aussi présent, pour sa part sur le stand de Paloma, Hadi Tchouar saluait le fait que “ce salon présente à la jeune génération des savoir-faire ayant tendance à disparaître. Au XIXe siècle, il y avait 32 000 ateliers de ce type à Paris. Aujourd’hui, il en reste une poignée et le 19M est une très belle initiative permettant de les réunir. Cela fait une espèce d’aimant, qui montre la beauté de ces métiers”.
Faire rayonner les savoir-faire français à l’international

Le 19M fait aussi rayonner les savoir-faire français à l’étranger.
Un programme a été mis en place avec la Fondation du roi Charles. Après avoir visité le 19M avec Camilla, il a demandé à la Maison Michel de venir dispenser une Masterclass sur la chapellerie et la broderie à de jeunes anglais. Un symbole important quand on sait la place occupée par les couvre-chefs dans la famille royale Outre-Manche !
Enfin, la Galerie du 19M envisage pour l’avenir un rythme important d’expositions hors les murs, en France ou à l’étranger. La prochaine à l’international, se tiendra, de fin septembre à fin octobre 2025, à Tokyo, à la Mori Tower, sur le même modèle qu’à Dakar ou Marseille. Elle collaborera avec des artistes japonais, dont les gestes sont transmis depuis des millénaires. L’exposition Lesage sera aussi présentée lors de cette exposition japonaise. Une preuve, s’il en est, d’un vrai engouement dans le monde pour le savoir-faire, l’artisanat et l’excellence à la française.