Le Choletais fait école dans la mode

A Cholet, la filière mode ne se repose pas sur les lauriers d’un glorieux passé. Elle a su évoluer et prépare aujourd’hui son avenir en formant à ses métiers des jeunes ou des adultes en reconversion professionnelle. Deux lycées spécialisés, un public et un privé, Fernand Renaudeau (Lycée de la mode) et Jeanne Delanoue, ont ainsi réussi à traverser les décennies en adaptant leurs contenus aux besoins des entreprises.
La mode dans les Pays de la Loire, selon un article de Fashion United paru fin 2023, c’était alors 246 établissements dont 54% évoluant dans le secteur du luxe et du haut de gamme (habillement, textile, chaussures et maroquinerie). En 2022, les exportations de mode des Pays de la Loire pesaient non moins d’1,7 milliard d’euros, dont 29% pour le textile, 32% pour l’habillement et 39% la maroquinerie-cuir-chaussures.
Le dynamisme de la filière se traduit aussi en emplois : 2000 postes ont été créés dans la région entre 2017 et 2023, selon le Courrier de l’Ouest. Et près de 500 postes étaient à pourvoir au second semestre 2024, soit une création d’un millier sur l’année, selon des données ORCI (observatoire régional des compétences industrielles) Pays-de-la-Loire.
Le choix du luxe

Si la région, bassin historique de la mode, a fait preuve de tant de résilience dans un environnement compliqué, ce n’est pas un hasard. “En 1996, les accords du Gatt, l’ancêtre de l’OMC, ont marqué le début d’une mondialisation effrénée. La filière de la mode, toujours un peu aux avant-postes sur le plan économique, a été une des premières impactées en matière de délocalisation. Mais le territoire et les Pays de la Loire ont su modifier leur offre de services et fait le choix du Luxe, devenu une véritable locomotive”, rappelle Vincent Guitton, directeur délégué du Lycée de la Mode, pôle spécialisé Fernand Renaudeau.
De la même manière que la filière mode du Choletais a su se réinventer en montant en gamme et innovation, les formations professionnelles locales ont elles-mêmes compris qu’il fallait absolument coller aux changements en cours.
Le Lycée de la Mode de Cholet a ainsi ouvert ses portes en 1989, sur l’impulsion des pouvoirs publics et de la branche professionnelle.
“Dès notre création, nous savions que nous devions nous battre pour notre survie. Depuis, nous n’avons cessé d’évoluer”, explique Vincent Guitton. Le lieu d’implantation de l’établissement, dans un quartier accueillant tout un écosystème de la mode (siège du groupement professionnel Mode Grand Ouest, anciennement de l’IFTH (Institut Français du Textile et de l'Habillement) et de différentes entreprises) et son implication auprès du Campus Métiers Qualifications Industries créatives de la mode et du luxe, facilitent bien sûr cette écoute des besoins de la filière. Le Lycée s’est d’ailleurs montré précurseur de l’apprentissage en CAP, Titre PRO, BTS et Licence PRO.
Multiplication des échanges avec le monde professionnel

De façon générale, les équipes pédagogiques du Lycée de la Mode multiplient les échanges avec le monde professionnel pour “favoriser l’adaptation des formations avec l’évolution des compétences et des métiers, faciliter la recherche des périodes de formation en milieu professionnel (stages), définir des projets tuteurés ou études de cas, développer la co-formation en apprentissage (Titre PRO, BTS et licence PRO) et intégrer les professionnels dans les cours, les évaluations et les examens”, indique la communication du Lycée de la Mode.
“À l’origine, le Lycée de la Mode avait essentiellement des formations pré bac (BEP) ou bacs Pro, explique Vincent Guitton. Ensuite, les entreprises ayant un très fort besoin de techniciens pour cadrer davantage le travail à façon et moins de production, le Lycée a multiplié ses formations BTS. Nous sommes devenus une pyramide un peu inversée. Aujourd’hui, nous sommes en train de devenir un sablier parce que nous maintenons notre offre de formation sur des bacs +3 mais nous élargissons de plus en plus la base, parce que les besoins s’accroissent toujours plus dans les métiers de production”.
En effet, “depuis les années 2008-2010, le Luxe est devenu plus que prépondérant. Pour l’avenir des entreprises, c’est le début de la réindustrialisation, mais aussi la montée en puissance très forte de la Maroquinerie”. Le Lycée a ainsi ouvert en 2017 un titre PRO maroquinerie de luxe, en 2019, le Titre PRO couturier en atelier mode et luxe, et enfin, en 2021, la licence PRO en méthodes industrielles, vêtements de luxe, unique sur le territoire. “Ces formations sont attendues par tous les industriels parce qu’il faut améliorer la productivité, garantir l’efficience des ateliers dans cette logique de réindustrialisation avec un savoir-faire et des exigences de qualité exacerbés liés au Luxe”.
Une offre large de formations

Ces nouveaux diplômes se sont intégrés dans une large offre de formations, allant de la production à la création, du bac -3 à bac+3, du CAP au DNMADE (Diplôme National Métiers d’Art & Design) mention Mode, en passant par les bac PRO, BTS et licences PRO. Des formations continues destinées aux adultes en recherche d’emploi ou aux salariés sont aussi créées sur-mesure par le GRETA CFA 49, notamment dans les métiers de fabrication comme celui de Couturier(ère) en atelier Mode et Luxe.
Accueillant 400 élèves, dont 140 en alternance, le Lycée de la Mode s’est fixé pour “objectifs majeurs” de développer une “formation professionnalisante” et “d’offrir le maximum de formations en apprentissage pour répondre aux attentes des entreprises". Les élèves du Lycée se forment aussi concrètement aux réalités de leurs futures employeurs grâce à un plateau technique richement équipé de machines et logiciels pour la coupe, le modélisme, la CAO textile et la confection. Il accueille ainsi 150 machines pour la confection et une soixantaine pour la maroquinerie. “Un plan d’investissement assez conséquent, financé par la région des Pays de la Loire, va nous permettre de nous doter de nouvelles ressources en confection (maille coupée-cousue) à moyen terme", annonce Vincent Guitton.
Mais la force du Lycée de la Mode, c’est aussi la création dès 2004 de la Plateforme de prototypage rapide, rebaptisée depuis “eMode”. “Nous avons fait partie des premiers établissements à être dotés par Lectra de solutions numériques offertes à tous les étudiants de l’établissement, explique le directeur délégué. Cela leur permet d’arriver avec des solutions clés en main dans les entreprises et cela nous a fortement aidés à multiplier nos interactions avec le monde industriel”.
Apprentissage au “point main”

Si le Lycée se montre à l’avant-garde technologique, cela ne l’empêche pas de perpétuer aussi, depuis des années, l’apprentissage au “point main” dans la confection, grâce à des formateurs initiés dans les grandes Maisons, “ce qui fait la coloration Luxe et la spécificité des Pays de la Loire”, souligne Nathalie Robin, directrice opérationnelle du Campus des Métiers et Qualifications Industries créatives de la mode et du luxe.
Le tout porte ses fruits. Au Lycée de la Mode, en 2024, le taux de réussite globale aux examens a été de 98,9 % pour les 80 candidats apprentis inscrits et de 97% pour les 167 candidats des cursus classiques inscrits au lycée ! 80 entreprises avaient ainsi recruté un apprenti avec un taux de satisfaction global de 89 % !
Autre institution de formation historique et toujours d’actualité dans le Choletais : le lycée privé sous contrat Jeanne Delanoue. Né du regroupement de plusieurs établissements, celui-ci suit depuis ses débuts le fil de la mode : le CAP Couture a été son premier diplôme ouvert en 1951 ! Comme le Lycée de la Mode, Jeanne Delanoue colle aux évolutions de la filière. “Dans les années 80, les unités de fabrication du bassin Choletais ont fait l’objet de gros questionnements”, rappelle Didier Bourrigaud, directeur adjoint de Jeanne Delanoue et directeur du centre de formation. Depuis sa création, l’établissement a ainsi à la fois fermé et ouvert de nombreuses formations, y compris en dehors de sa spécialité d’origine, par exemple dans l’hôtellerie-restauration. Et dans la mode, le catalogue des diplômes s’est lui-même beaucoup transformé. Didier Bourrigaud cite en exemple, la création en 2022 du titre Pro Couturier en atelier Mode et Luxe, sous l’impulsion de Sylvie Chailloux, à l’époque présidente de l’Union Française des Industries Mode et Habillement (UFIMH) et co-dirigeante de Textile du Maine. Tandis que d’autres diplômes, plus anciens, ont fait l’objet de réformes à la demande des organisations professionnelles, permettant d’intégrer ces derniers temps davantage de contenu lié à la fabrication proprement dite.
Jeanne Delanoue : quatre dispositifs de formation

Aujourd’hui, Jeanne Delanoue propose quatre dispositifs de formation à la mode, allant du CAP MMVF (Métiers de la Mode, Vêtement Flou) aux Titres Pro couturier-retoucheur ou couturier en atelier mode et luxe, en passant par le Bac Pro MMV (Métiers de la Mode option Vêtement) ou MCC (Métiers de La Couture et de la Confection). Ils sont dispensés soit dans le lycée, soit dans le centre de formation. Le lycée, qui comprend des enseignements à la fois généraux et pratiques, s’adresse à un jeune public, à partir de 14 ans. Concentré sur l’apprentissage technique, avec des sessions en alternance en entreprise, le centre de formation cible des adultes en réorientation scolaire ou reconversion professionnelle, ayant de 18 à plus de 50 ans…
Tous se frottent très concrètement aux gestes de leurs futurs métiers, grâce aux plateaux techniques équipés de matériel de confection mais aussi de logiciels Lectra, pouvant accueillir chaque année jusqu’à plus de 80 apprenants. Pour être proche de leurs besoins et trouver, le cas échéant, des alternances et stages pour ses élèves, Jeanne Delanoue est en contact étroit avec les entreprises, “essentiellement via un partenariat avec Mode Grand Ouest mais aussi de manière plus directe avec de petits ateliers”, explique Didier Bourrigaud. Cette collaboration passe aussi par des projets concrets avec les ateliers, marques et autres prestataires. En 2024, le lycée Jeanne Delanoue a ainsi travaillé avec Terre de Marins, adhérent de Mode Grand Ouest. Ce fabricant de vêtements de style nautique avait sollicité le lycée pour organiser un temps fort à l’occasion de son trentième anniversaire.
Un réseau dense de prestataires et industriels

De façon plus générale, que cela soit pour le Lycée de la Mode ou pour Jeanne Delanoue, leur implantation dans le Choletais permet de bénéficier d’un écosystème local favorable à la fois aux collaborations, à l’emploi et à l’innovation, avec un réseau dense de prestataires (modélistes, bureaux d’étude, créateurs) et d’industriels.
Outre l’alternance, l’apprentissage et les stages, les collaborations prennent de multiples aspects, que cela soit sous la forme de projets, de prototypes, défilés ou encore de concours.
Le Lycée de la Mode et Jeanne Delanoue citent ainsi tous deux le don de matières. “Fiscalement, les entreprises obtiennent des réductions grâce à ces dons et cela nous permet de réaliser des pièces d’étude. C’est gagnant-gagnant”, explique Didier Bourrigaud (Jeanne Delanoue). Ces tissus permettent notamment la réalisation des défilés de fin d’année, mettant en valeur à la fois élèves et entreprises donatrices.
Le Lycée de la Mode confie, lui, la coupe de matières à des ateliers dans le cadre de la réalisation de mini-séries pour le bac Pro Métiers de la couture et la confection. “Nous avons une coupe numérique mais elle est en monopli alors que nos partenaires ont des outils permettant de couper en matelas. Ils nous évitent ainsi une opération très longue et peu valorisante. Ce que veulent nos entreprises, c’est qu’on forme sur les techniques de confection, et non sur la coupe”, explique Vincent Guitton.
A l’issue de la formation, la localisation des lycées en région choletaise s’avère évidemment précieuse. “Nos élèves sont nombreux à rester dans les Pays de la Loire, quelques-uns dans la continuité de leur stage ou alternance. Même si bien évidemment, certains souhaitent rejoindre de grandes Maisons parisiennes par choix personnel ou parce qu’ils ont été repérés par l’une d’entre elles, notamment grâce à un concours. Les formations des Pays de la Loire sont d’ailleurs appréciées par ces grandes Maisons”, souligne Nathalie Robin.
Jouer collectif

Mais ce qui fait l’alchimie du territoire, c’est aussi sa capacité à jouer la carte du collectif. “Établissements publics, privés ou entreprises, nous travaillons tous ensemble au profit de la filière. Nous formons des jeunes qui seront demain les collaborateurs actifs des entreprises, donc il est essentiel que ce travail de rouage se fasse les uns avec les autres”, estime Nathalie Robin.
Et pour sensibiliser aux métiers techniques de la mode et susciter des vocations dès le plus jeune âge, les initiatives ne manquent pas dans le Choletais.
Outre les traditionnelles Portes Ouvertes dans les lycées et centres de formation, le Comité Colbert, l’association française des Maisons de luxe, a organisé pour la première fois à Cholet, en novembre 2024 son opération “les De(ux)mains du luxe”. Le but : convaincre les jeunes, dès le collège, de se former mais aussi de moins jeunes, de se reconvertir dans les savoir-faire de la mode, via à la fois des démonstrations d’entreprises et la présentation des formations ad hoc. Défi plus que réussi avec 15 000 participants ! De quoi inciter à renouveler l’opération en octobre 2025 à Paris. Autre événement, de dimension plus modeste (avec environ 800 visiteurs en février et mai 2025), trois éditions du Salon Mod’Avenir ont déjà eu lieu à Cholet et au Mans pour permettre aux visiteurs, jeunes ou moins jeunes, demandeurs d’emploi ou salariés en reconversion, de découvrir, le temps d’une journée, la palette globale des métiers et formations de la filière mode dans les Pays de la Loire. Alors que des entreprises aussi prestigieuses que Louis Vuitton ou Longchamp ont déjà répondu présentes lors des premières éditions, une quatrième se profile en 2026 .
De son côté, dans un tout autre esprit, le Lycée Jeanne Delanoue a attiré, le 16 mai dernier, 600 spectateurs à son défilé de mode sous forme d’un spectacle musical et dansant au Théâtre Interlude de Cholet. Une façon attrayante de mettre en valeur non seulement ses élèves, mais aussi des entreprises partenaires, tout en donnant envie à d’autres jeunes de les imiter.
Un contenu vivant, conçu avec les entreprises

D’une façon générale, les Lycées de la Mode et Jeanne Delanoue s’attachent à faire vivre le contenu de leurs formations, en s’appuyant autant que possible sur les ressources des entreprises, notamment sur les sujets actuels du numérique, de la RSE et de la seconde main.
Côté développement durable, Vincent Guitton (Lycée de la Mode) évoque des projets, partenariats et interventions avec des entreprises “tournant autour de l’emploi matière, de la pérennité des produits, du processus lié à la conception”. Sur la thématique de l’éco-responsabilité, l’enseigne IKKS fait confiance depuis deux ans à la classe de niveau licence pro au Lycée de la Mode, en lui dédiant une étude de cas sur un produit mis ensuite en boutique. C’était le cas en septembre 2024 et le sera de nouveau sur la collection automne hiver 2025-26. Enfin, outre la ressource formateur ou intervenant, le Lycée de la Mode recourt à des outils de conception 3D pour aboutir au zéro déchet.
En allant bien au-delà d’une simple transmission de savoir techniques et les ouvrant aussi aux dimensions éthiques de leurs futurs métiers, les établissements du Choletais remplissent une mission vitale pour la fabrication française de demain : former une nouvelle génération de techniciens engagés et polyvalents. Ils ne se contentent pas de perpétuer un passé glorieux : ils préparent un futur durable, innovant et local. Grâce à une synergie forte entre établissements, entreprises et collectivités, la façon choletaise continue de faire école, au sens propre comme au figuré.